« A la redécouverte d'Alfred Vaucher », article de Giuseppe de Meo dans la Revue adventiste de juillet 1987, p.15-17.
Alfred-Félix Vaucher (1887- ) a été l’un des écrivains les plus prolifiques du monde adventiste européen ; il s’est distingué par son ample production d’essais et par sa recherche bibliographique précise et méticuleuse dans diverse directions historico-doctrinales.
L’on peut cependant redécouvrir un autre aspect « inédit », ou tout au moins peu connu, de l’auteur en relisant certains de ses articles publiés au début du siècle.1
Ces articles sont caractéristiques en soi et révélateurs, tant du jeune écrivain que du climat non pas antagoniste, mais constructif, bien que dialectique, qui régnait à l’époque entre la chétive Eglise adventiste et une partie du monde protestant italien.
Un coup d’œil rapide aux pages jaunies des diverses revues dont certains articles sont tirés nous permet de découvrir plus d’une leçon qui mérite notre attention.
Tout d’abord, Alfred Vaucher figure comme écrivain régulier dans certaines revues protestantes, et occasionnel dans une revue laïque. La chose mérite d’être soulignée, car vers la fin du 19e siècle les rapports entre les adventistes et le monde protestant n'étaient guère idylliques2. Notre auteur et donc homme capable d’instaurer des dialogues constructifs et concrets avec le protestantisme italien des vingt premières années du siècle.
Le premier de ces onze articles fut publié le 15 juin 1905 ; l’auteur avait fêté ses 18 ans deux mois auparavant. Le dernier, daté du 2 février 1914, vit le jour à Paris, quand Alfred Vaucher avait déjà 27 ans.
De 1905 – deux ans seulement après le début de son activité pastorale à Rome – à 1913, lorsqu’il quitta l’Italie pour la France, Alfred Vaucher travailla, tantôt seul tantôt en collaboration, dans diverses localités italiennes. Terni, Spolète, Pise, Torre Pellice, Gênes3 sont parmi les villes où il a séjourné le plus longuement et d’où il écrivit ses articles avec une certaine régularité.
Ce détail aussi à son importance. Les différents milieux sociaux où notre jeune pasteur se trouvait à chaque déplacement influencèrent, certainement, non seulement son choix immédiat des arguments à traiter, mais aussi sa formation plus vaste et plus durable de vie intérieure et socio-culturelle.
Alfred Vaucher a été, comme il l’a toujours affirmé, un autodidacte ; mais un autodidacte qui, grâce à une grande force de volonté et une application tenace, a su s’ouvrir de vastes espaces dans le monde culturel et religieux de notre époque4.
En lisant ces brefs articles, on est particulièrement surpris de la profonde connaissance des auteurs cités, souvent bien éloignés les uns des autres tant par la discipline que par contexte idéologique5. Qui voudra un jour entreprendre une recherche organique sur la vie intellectuelle de l’auteur devra tenir compte aussi de cet aspect important.
Plus d’une fois Alfred Vaucher m’a dit que, entre 1905 et 1918, il passait chaque semaine au moins une nuit entière à étudier, tant était vif en lui le désir insatiable de savoir. La désinvolture avec laquelle il manie les auteurs cités, déjà dans ces articles, témoigne du fait qu’il ne se limitait pas à une simple lecture de textes, revues, quotidiens ; qu’il n’assistait point par passe-temps aux leçons et aux conférences publiques de professeurs universitaires ou de politiciens ; mais que tout cela entrait dans un plan d’études qu’il s’était imposé, plan établi et rigoureusement suivi. Il ne s’agissait donc pas d’une agréable prise de connaissances, d’une ingestion servile et incontrôlée de nouvelles, mais plutôt d’une rencontre-choc de pensée et de vie au niveau formatif.
L’examen de ces articles amène encore à d’autres considérations : le style en est synthétique au maximum : jamais d’adjectifs ronflants ou de phrase à effet. En quelques traits de plume, l’auteur expose la question, trace brièvement son propre point de vue, et conclut.
Ce qui fascine, c’est le style nettement polémique joint à une forte passion anticléricale digne du meilleur controversiste, comme c’était l’usage dans une bonne partie de la littérature protestante d’Italie à cette époque. Qui, comme moi, connaît Alfred Vaucher depuis quelque trente ans découvre avec surprise chez cet homme doux et paisible une telle capacité explosive.
Ces onze petits tableaux d’auteur, outre le fait qu’ils révèlent de quelle trempe était le jeune Vaucher, permettent au lecteur de ses nombreux essais de découvrir comment, depuis son adolescence, cet homme se sentit poussé à écrire, comme s’il s’agissait d’une « mission ».
Je voudrais ajouter ici encore deux ou trois considérations. Alfred Vaucher se sent « protestant » parmi les protestants. « Quel est notre devoir de protestants […] ? […] Il y a donc place pour l’activité missionnaire des protestants ; l’heure est propice6. »
Dans l’article susmentionné du 12 février 1914, le lecteur découvre un Vaucher qui ne se limite pas à considérer froidement les choses, ni ne se complaît à suggérer des solutions édulcorées, mais bien au contraire un écrivain fortement engagé et promoteur sur le front de l’action. Aspect qui lui-aussi déconcerte ses élèves et quiconque le connaît depuis un certain temps.
A ce point, le texte mérite d’être lu :
« Quel est notre devoir de protestants en face des tendances orientées à exploiter la renaissance actuelle de l’esprit religieux ? Un vaste champ d’activité s’offre à nous. De fait, en dehors des éléments que j’ai mentionnés, il existe une nombre considérable de jeunes indépendants qui, à égale distance de l’anticléricalisme féroce des rebelles et de la soumission aveugle des enthousiastes du dogme, cherchent une forme de religion capable de satisfaire à la fois les aspirations de l’esprit, les besoins du cœur et les postulats de la conscience . Il y a donc place pour l’activité missionnaire des protestants ; l’heure est propice. Offrons à la nouvelle génération un idéalisme tempéré d’un sain réalisme ; enseignons et pratiquons une doctrine morale et sociale féconde ; posons un fondement sur lequel on puisse construire, une norme que l’on puisse suivre ; communiquons une foi capable de conquérir et de transporter les âmes.
»Ce faisant nous travaillerons efficacement à hâter l’avènement du règne de paix et de justice. »
Le dernier point à considérer, aussi important que les précédents, est la façon dont l’auteur emploie la Bible pour faire brèche sur les lecteurs. Dès ces premiers articles, Alfred Vaucher montre une grande sûreté dans son interprétation vigoureuse de la parole de Dieu, et cette caractéristique l’accompagnera tout au long de sa vie.
Ces onze articles, cette première « production juvénile » du début de notre siècle, sont centrés principalement sur deux ou trois thèmes. Le sommeil des morts et l’immortalité conditionnelle de l’âme ; des considérations sur certains passages de l’Apocalypse ; un commentaire de La fotografia della Chiesa Romana (La Photographie de l’Eglise romaine). Ce dernier argument est traité dans un article du 22 janvier 1911, publié dans la revue laïque « l’Asino ».
Alfred Vaucher a voulu nous laisser ces onze miniatures, et nous en sommes sincèrement heureux. Ce Vaucher-là mérite d’être redécouvert et relu. Nous, ses élèves et ses frères en Christ, pourrons y retrouver cette force d’action qui s’est peut-être affaiblie en nous au seuil de l’an 2000.
Giuseppe De Meo
Notes:
1. De Meo Giuseppe, Granel di Sale, un Secolo di Soria della Chiesa Cristiana Avventista del 7e Giorno, éd. Claudiana, Torino, 1980, p. 101: “Evangelista”; Ancora sull’inferno, 15.6.1905; Interno all’eternità delle pene, 2.7.1905: ces trois articles sont écrits de Terni. Il Multitudinaismo, 18.5.1906, de Pise; Lo sviluppo della gerarchia romana, 27.6.1911, de Gênes; eligione e democrazia, 19.12.1913; Il pericolo ateo-clericale, 15.1.1914; Vita intellettuale moderna 12.2.1914, de Paris; dans la revue « Lumen de Lumine » d’Alfred Tagliatela: Per il pulpito, 15.11.1906. A cette époque il écrivit aussi un article pour le journal vaudois « Il Rinnovamento », L’apocalisse… svelata, mai 1907. « L’Asino », La fotografia della Chiesa Romana, 22.1.1911, de Gênes.
2. Idem, p 89, 90
3. Idem, p. 101-225.
4. Les comptes rendus amples et élogieux de ses travaux faits par d’insignes professeurs ; les déclarations concernant son rang (sa position) théologique publiées dans des encyclopédies spécifiques ou des œuvres de grands hommes d’étude tant catholiques que protestants ; les diverses leçons données dans les athénées de maints pays ; les nombreux étudiants qu’il a formé en Europe pendant plus de cinquante ans d’enseignement témoignent avec éloquence des différents buts atteints par cet autodidacte piémontais.
5. Auteurs cités dans divers articles : 15.6.1905, Ancora sull’inferno, Renouvier, Reuss. 2.7.1905, Intorno all’eternità delle pene, Neander, De Pressensé, Farrar, Darby, Sabatier, White, Godet, Olshausen, Delitzsch, Herding, Hudson, Whately. 18.5.1906, Il Multitudinarismo, Giordano Bruno, C. Secréton, 15.11.1906, Per il pilpito, Socrate, Seeley, G. Negri, Sabatier. 15.5.1907, L’Apocalisse svelata, G. Pardo, Morosoff, J. Chrysostome, Papias, Justin Martyr, Irénée, Tertullien, Jérôme, Origène, Eusèbe, Denis d’Alexandrie, Lichtenberg. 22.1.1911, La fotografia della Chiesa Romana, Dante, Carducci, Petrarca, Jacopo, Leone, Gabriele Rossetti. 27.6.1911, Lo sviluppo della gerarchia romana, Giolamo, Sabatier, Ignazio, Labanca, Cipriano. 19.11..1913, Religione e democrazia, Nietzsche. 15.1.1914, Il pericolo ateo-clericale, R. Allier, A. Vinet, Laberthonnière.
6. « L’Evangelista » Vita intellettuale moderna, 12 febbraio 1914.
« A la redécouverte d'Alfred Vaucher », article de Giuseppe de Meo dans la Revue adventiste de juillet 1987, p.15-17.