Dans l'Echo du Salève de janvier-Février 1977, Louise Giffard, enseignante, raconte la naissance de l'école secondaire adventiste.
"Un comité par-dessus les barbelés...
- Un cours complémentaire, mon frère, mais pour quoi faire ?
- Pour y faire entrer les enfants des professeurs qui vont sortir de la classe primaire, nous ne voulons pas les envoyer à St-Julien ou à Annemasse.
- Mais vous avez les classes du Séminaire.
- A l'âge de l'adolescence nous ne pouvons pas mélanger les futurs évangélistes avec ces enfants. Les aînés seront gênés dans leurs études - nous sommes sans cesse en train d'aménager les programmes - ce serait mauvais de leur imposer des enfants de onze ans comme condisciples.
Il y avait là quatre personnes - quatre hommes - surveillés du coin de l'oeil par les douaniers et des soldats - séparées par une solide barrière renforcée de fils de fer barbelés... séparées par la frontière devrait-on dire. Ceci se passait en effet à Croix-de-Rozon, en 1945.
Le plus âgé des deux hommes qui étaient en territoire suisse, fixait son interlocuteur d'un air dubitatif ; visiblement il n'était pas convaincu. Les sourciles froncés, il s'efforçait d'imaginer ce que cette idée d'une nouvelle école allait donner. On avait déjà tant de peine, à Berne, à gérer le budget de ce Séminaire - que la deuxième guerre mondiale avait exilé en pays ennemi... - fallait-il se lancer encore dans l'inconnu ?
Son compagnon, au regard vif et intelligent, attendait, à la fois attentif et déférent, que son président prît ses responsabilités. Ces deux "messieurs de Berne" étaient M. Olson, le président de la Division Sud-Européenne, et son secrétaire M. R. Beach.
De l'autre côté, deux professeurs du Séminaire : MM. R. Bermeilly et D. Toureille, aussi menus l'un que l'autre, disaient par leur minceur, les dures années qu'ils avaient vécues à Collonges depuis 1939.
Cependant leur énergie était intacte : on avait réellement besoin de cette école destinée aux enfants qui allaient sortir de la classe primaire. Les envoyer à St-Julien ? Impossibl. Au lieu de sortir nos petits du groupe adventiste, il fallait que beaucoup d'autres aient la possibilité d'y venir... Mais, il fallait obtenir une autorisation de Berne et , Mais oui... C'était bien une sorte de comité directeur, qui se tenait là, de chaque côté de cette frontière si bien gardée.
- Où mettrez-vous ces enfants ? dit encore M. Olson.
- Pour le moment, dans une des salles du Central, au 1er étage, à côté de la bibliothèque... Nous pensons à la salle 3... Mais, sans aucun doute, il serait préférable de construire quelque chose à l'écart du Central.
Un long silence s'établit de nouveau. M. Olson le rompit enfin :
- Mon cher frère, dit-il, nous n'avons pas d'argent, vous non plus ; vous n'avez pas de local ; avec la fin de la guerre, nous recevrons beaucoup de jeunes gens pour les études d'évangélistes, nous ne saurons plus où caser vos adolescents... NOus n'avons même pas la certitude de recruter, dans deux ou trois ans, assez de jeunes pour remplir les classes qui seront créées et faire vivre votre cours complémentaire... La chose me paraît im-pos-si-ble.
Et, dans la bouche du frère américain chargé des problèmes adventistes de cette Division Sud-européenne, cet "im-pos-si-ble" semblait un "jamais".
Les quatre hommes se serrèrent la main.
tout le monde sait qu'"impossible" n'est pas français ! M. Bermeilly et son compagnon n'étaient ni déçus, ni découragés. M. Bermeilly sentait encore l'encourageante poignée de main de M. Beach et ces mots si confiants : "Bon courage ! M. Bermeilly !" Il réfléchissait.
Il ne faut jamais dire jamais !
- Un de mes camarades de l'école normale est secrétaire d'une inspection académilque dans le sud de la France, dit-il tout à coup, je vais lui écrire. Je serais bien étonné qu'il soit impossible d'ouvrir un cours complémentaire.
"Seigneur, priait-il chaque jour avec ferveur, nous croyons à la nécessité de cette école, mais les hommes peuvent toujours se tromper... Montre-nous que c'est aussi Ta Volonté."
Au bout de quelques semaines, la France, enfin libérée de l'occupation allemande, recommença à vivre à peu près normalement. Des lettres arrivèrent de nos missionnaires du Cameroun. Les familles Bénézech, Nion et Yérétzian avaient chacune deux adolescents que les parents désiraient envoyer au Séminaire dès la prochaine année scolaire.
"Nous allons vous confier nos enfants, écrivaient-ils, nous ne pouvons les condamner à l'ignorance parce que nous sommes dans l'oeuvre de Dieu ! Ici, il n'y a rien pour eux. Soyez pour eux des pères et des mères en Israël".
- Merci, Seigneur ! dit M. Bermeilly, nous allons te créer le "Home d'enfants" dont tu as besoin pour tes missionnaires. Et nous aurons ainsi l'internat qui accueillera nos jeunes.
Les évènement semblèrent vouloir donner raison à notre frère. En peu de semaines, des circonstances se présentèrent d'une manière curieuse : deux orphelins arrivèrent d'Angleterre, qui, à cause de la santé de leur maman, ne purent jamais retourner à Londres. Une famille adventiste avec de nombreux enfants s'installa à Collonges, dans le but avoué de mettre ses enfants dans une école d'église. M. Roger Guenin, directeur d'école à Madagascar, dut revenir pour raison de santé, et ses deux fils s'ajoutèrent au contingent de ceux qui allaient constituer le noyau initial de cette école nouvelle. C'était tout ce qu'il fallait pour que nous comprenions la volonté du Seigneur.
Les mois passèrent. Bientôt, on sut que la propriétaire de l'Hôtel des Alpes avait loué toutes ses chambres au Séminaire adventiste : c'était le "Home d'enfants". On y accueillit tous ceux qui, par la force des choses, se trouvaient avoir besoin d'une famille. Une soeur, veuve, venue de Dammarie, en prit la direction. Sa patience, sa fermeté nuancée de douceur, sdon esprit missionnaire faisaient de Mme Tallé la maman idéale ; elle portait à chacun des enfants autant d'amour qu'à ses deux petits. Et quelle ménagère incomparable !
En octobre 1946, le Séminaire avait sa classe de 6è, que M. Bermeilly avait prise en main : il y enseignait la Bible, le français et les mathématiques, des cours de science étaient donnés par M. Clarville que la guerre avait empêché de finir sa médecine, et un élève-professeur André Dufau initait nos jeunes au latin, tandit que Mme Charpiot et Mme Juliette Rey s'occupaient l'une de l'anglais, l'autre de l'histoire et de la géographie. (...)"