"S'il faut en croire l'écrivain Sainte-Beuve, "Ecrire, c'est délivrance". Dès lors pourquoi ne pas se libérer après un demi siècle, de quelques souvenirs encore vivaces, liés au Collonges de 1944 ! Evocation largement anecdotique, qui ne se veut ni complète ni exhaustive, le soussigné n'étant à l'époque, qu'un "ado". Les témoignages éventuels des vingt et vingt-cinq ans d'alors, apporteraient sans doute plus de lumière, à ce propos."
"La vie de notre Institution d'il y a cinquante ans, se déroulait somme toute, assez loin de la tragique réalité événementielle du moment. Sans doute faut-il compter avec les combien discrètes fuites vers la Suisse, d'élèves français et belges, réfractaires au S.T.O. ou "service de travail obligatoire" en Allemagne. Collonges 1944, ce sera aussi par exemple, un beau jour de "course" scolaire hivernale, au Salève, la rencontre combien imprévue, à La Croisette, d'une poignée de maquisards, mitraillette Stem à l'épaule, chaussures entourées de chiffons, pour masquer les traces de leurs pas...Seront-il au nombre des cinq-cent combattants du plateau des Glières, non loin d'ici, au destin tragique scellé en mars de cette même année. En tout cas, Collonges "site protégé" du Ciel sans aucun doute, en cette période de tous les dangers, si proche du dénouement de la seconde guerre mondiale. "Dans les premières semaines de janvier, écrira un chroniqueur, "on assistera en effet, au regroupement en Haute-Savoie, de policiers, de miliciens et de soldats allemands."(1) Coups de mains, attentats et représailles, de part et d'autres, se multiplient. "Dans un département où, avant 1940, un meurtre représentait un événement longuement et abondamment commenté, il ne se passe pas deux jours sans assassinat"(2). Annecy, Cruseilles, Annemasse, la Roche-sur-Foron, Thorens et autres, autant de localités formant un cercle de violence et de haine. Et au centre: notre site collongeois, haut-lieu de sécurité et de paix, "sous les ailes du Tout-Puissant". Seule ombre (mineure cependant !), au tableau, si l'on peut dire: la nuit de forte émotion du 16 au 17 août 1944. A la sortie de la réunion de prière, devant le Central, fit s'écrier plusieurs d'entre nous: " Les Allemands brûlent des villages en s'enfuyant !" Mais les choses en restèrent là, et chacun regagna sa chambre ou son foyer. Vers une heure du matin, soudain, branle-bas de départ; car voici tous les élèves du Parc et des Sources, réveillés brusquement, en plein sommeil du juste. Ordre de quitter les lieux sans tarder, pour passer de l'autre côté de la frontière. La raison donnée: le village de Collonges est menacé par les flammes, lui aussi. En fait, ce sont tous ses habitants qui franchiront le poste de La Croix de Rozon, en pleine nuit, gratuitement véhiculés en bus, jusqu'à Carouge. (Qui osera dire encore, à la suite de Racine: "Point d'argent, point de Suisses"!) Là nous attendent les vastes bâtiments d'une école où des soldats helvètes dorment déjà sur la paille. Le jour se lèvera bien vite, et offrira le spectacle insolite d'une mini population villageoise déplacée et groupée dans la cour d'un établissement scolaire suisse. Imaginez la scène, amis lecteurs. Dialogue obligé avec les passants genevois fortement surpris par notre présence. Que de chocolats et autres douceurs du cru, nous furent distribués ce jour-là, à travers les grilles. Puis vers midi, ce fut le signal du retour au pays, avec les mêmes bus. Le village de Collonges-sous-Salève était toujours là, intact... Mais les acteurs de cette folle équipée nocturne, ne l'oublieront jamais, sans doute. Août 1944, c'est encore une journée de tirs de fusils quasi incessants, provenant du secteur du château de Bossey. Des soldats allemands en furent délogés par quelques partisans. Ils tenteront vainement, semble-t-il, de franchir la frontière, à travers la colline au-dessus de la route d'Annemasse. Que dire encore? Le débarquement du 6 juin en Normandie, n'eut pas d'échos particulier, ici, sans doute par manque d'informations; aucune comparaison possible, bien sûr, entre les médias de l'époque, et ceux d'aujourd'hui. Pour conclure, il faut signaler la mémorable réunion d'un soir, au "salon des Sources". Le pasteur Frédéric Charpiot, nous fit avec une vive émotion, le récit de la libération de Paris, à laquelle il venait tout juste d'assister. Juste un post dictum pour signaler que le 8 mai de l'année suivante, la famille scolaire fêta l'Armistice; mais c'est déjà là une autre histoire..." Denis Romain (pasteur en retraite) (1)-André Amouroux: "Un printemps de mort et d'espoir (novembre 1943 - 6 juin 1944) - chapitre: "Etat de siège en Hte Savoie / La grande histoire des Français sous l'occupation - Robert Laffont 198 p.233.
2005
(2) Ouvrage cité p.225