Robert Gerber (1893-1971) est l’auteur d’un livre édité en 1950 par les Editions Signes des Temps (Dammarie-lès-Lys, France) : « Le mouvement adventiste : origine et développement ». Loin d’être un livre d’histoire scientifique, cet ouvrage reste l’une des recherches systématiques les plus anciennes en français dans le domaine de l’histoire de l’Eglise adventiste… Ce livre s'adressait essentiellement aux membres de l'Eglise adventiste. Voici comment l'auteur y raconte les débuts de ce qu'on appelait alors "la réforme sanitaire"...
Réforme sanitaire et oeuvre médicale
Certains philosophes ont affirmé que le corps est la prison de l'âme; d'après eux, la meilleure ligne de conduite est de se débarrasser le plus vite possible de cette enveloppe gênante. On aurait tort, par conséquent, d'accorder le moindre soin au corps humain.
Ce n'est pas le point de vue de l 'Evangile, car, si le corps n'était pas digne d'attentions, on ne comprendrait pas pourquoi Jésus a guéri tant de malades. A ses yeux, la vie humaine possède une valeur inestimable, et comme elle ne se conçoit pas sans le corps, notre existence terrestre dépend en fin de compte de l'état de ce dernier.
L'apôtre Paul nous exhorte à offrir nos corps "comme un sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu". (Rom.12 : 1.) La consécration du chrétien au Seigneur comprend tout son être. Le même apôtre exprime aussi le voeu suivant : "Que le Dieu de paix vous sanctifie lui-même tout entiers, et que tout votre être, l'esprit, l'âme et le corps, soit conservé irrépréhensible, lors de l'avènement de notre Seigneur Jésus-Christ !" (1 Thess. 5 : 23.) Rien d'étonnant que le mouvement adventiste ait reconnu l'importance de ce problème et lui ait voué une attention particulière.
Il semble que la réflexion et la conscience chrétienne devraient tout naturellement aboutir aux mêmes conclusions. S'il n'en est pas toujours ainsi, il y a cependant des cas où triomphe le bon sens.
Joseph Bates peut être considéré à juste titre comme le promoteur de cette profonde réforme de la manière de vivre préconisée par les adventistes et que nous connaissons sous le nom de la réforme sanitaire. Alors qu'il était marin, il avait pu observer les ravages de l'intempérance parmi les équipages. Il renonça successivement aux spiritueux, au vin, au cidre et à la bière. A l'époque de son baptême, en 1827, il fonda la première société de tempérance d'Amérique.
Bates avait déjà cessé de fumer en 1823. Ces dates nous prouvent que cet homme résolu avait réformé ses habitudes longtemps avant son premier contact avec le réveil adventiste. Plus tard, il renonça aussi au thé et au café, ainsi qu'à la viande et même à la pâtisserie.
La réforme sanitaire semble avoir commencé dès le printemps 1844 par un mouvement dirigé contre l'usage du tabac. Un adventiste de la Nouvelle-Angleterre était en train de labourer son champ ; comme il faisait chaud ce jour-là, il s'arrêta à l'extrémité d'un sillon pour reposer ses chevaux. Pendant ce temps il prit sa pipe et son tabac. Tout à coup il pensa, comme il le faisait très souvent, au retour du Sauveur. Devant lui s'étendait un paysage tranquille, et au-dessus de lui un ciel parfaitement bleu, à l'exception d'un grand nuage blanc. Cet adventiste se mit alors, presque involontairement, à se demander : "Si mon Maître venait aujourd'hui, serais-je prêt à le recevoir ?" Après un moment il ajouta : "Souhaiterais-je d'être trouvé comme je suis maintenant, la pipe à la bouche ?"
De telles questions n'étaient pas rares parmi les croyants. Les adventistes avaient l'habitude de s'exprimer eux-mêmes lorsqu'ils pensaient à l'avènement imminent. Plus cet homme y songeait, plus il sentait que sa réponse ne pouvait être affirmative. Le contraste était trop violent entre cette vieille pipe et le beau nuage blanc. De plus, il y avait une contradiction entre l'attente du Sauveur et l'habitude de satisfaire un appétit perverti. Le cultivateur eut bientôt pris sa décision : il coupa court à sa méditation, jeta sa pipe et son tabac dans le sillon, retourna à sa charrue et enterra son idole. Ce soir-là, il y avait une réunion de prière dans son voisinage. Lorsque vint son tour de rendre témoignage, cet homme raconta ce qui s'était passé le matin même.
Les autres assistants eurent la même pensée, et imitèrent son exemple.
C'était un incident anodin en lui-même, mais il ouvrit la porte à d'autres réformes qui devaient s'accomplir plus tard. Le principe initial devait être fertile et c'est à partir de ce moment-là que l'on jugea de toutes ces choses en posant les questions suivantes : Ceci est-il en harmonie avec l'affirmation du retour du Seigneur ? Conduit-il à une vie spirituelle plus intense ? Encourage-t-il à la pureté et à la sainteté ? etc.
Quoique l'abstention du tabac devint générale parmi les adventistes qui observaient le septième jour, ce fut seulement vers 1853 que des articles contre cet usage parurent dans la Review. La même année, Madame White écrivit à ce propos que c'est une habitude à abandonner. Elle conseillait la pratique de la plus stricte économie, l'abstention de tout ce qui n'est pas absolument nécessaire, entre autres du thé et du café. Deux ans plus tard, dans une assemblée qui eut lieu à Morristown, il fut décidé que l'usage du tabac par un membre quelconque était une faute sérieuse et qu'un tel membre, après avoir été dûment averti, devait être séparé de l'Eglise s'il persistait dans sa mauvaise habitude.
L'année 1863 est une date capitale dans l'histoire de la réforme sanitaire. Madame White communiqua alors d'importantes lumières qu'elle avait reçues à cet égard. Ces conseils furent d'abord publiés dans la Review ; en 1865 une grande partie de ce qu'elle avait écrit sur le régime, les aliments, le vêtement, l'aération, la maladie, etc. parut sous forme d'un volume intitulé : How to live (Comment vivre).
A la session de la Conférence Générale tenue en mai 1866, Madame White déclara :
" Il m'a été montré que nous devrions établir un foyer pour les souffrants et pour ceux qui désirent apprendre à soigner leur corps afin de pouvoir éviter la maladie." (Testimonies, vol. 1, p. 489.)
"Alors que les non-croyants auront recours à une institution consacrée au traitement efficace de la maladie et dirigée par des médecins observant le sabbat, ils seront placés directement sous l'influence de la vérité. En entrant en contact avec nos membres et notre foi véritable, leur préjugé sera renversé et ils seront favorablement impressionnés. Etant ainsi soumis à l'influence de la vérité, certains non seulement seront soulagés de leurs infirmités physiques, mais trouveront un baume pour leurs âmes malades du péché." (Idem, p. 493.)
En harmonie avec ces conseils, on se mit immédiatement à l'oeuvre, en dépit des obstacles, en particulier du manque de fonds. Après quelques jours de recherches, le choix se porta sur une belle propriété de Battle Creek dont la maison pouvait convenir au but poursuivi. On en fit immédiatement l'acquisition. Une annexe de deux étages fut construite pour les salles de traitement.
Le journal Medical Ministry de janvier 1894 parlait de ce point de départ en ces termes :
"Une modeste maison en bois... deux médecins, deux aides pour la salle de bains, une infirmière (peu préparée), trois ou quatre autres employés, un patient, tous les inconvénients imaginables et une foi inébranlable en l'avenir de l'institution et dans les principes sur lesquels elle se fondait - tels furent les débuts de l'entreprise." Et pour bien marquer le contraste entre ces humbles commencements et la situation en 1894, ce journal ajoutait : « Sur l'emplacement de cette première maison se dresse maintenant un bâtiment de six étages de cent mètres de long sur trente de large, pouvant loger confortablement trois cents hôtes et pourvu de tous les appareils que la science moderne recommande pour le traitement et le rétablissement des malades. Le corps médical est constitué par six médecins, dont la majorité sont des spécialistes dans leur domaine. Les infirmiers et autres employés forment une famille de plus de trois cents personnes.»
Ce premier institut médical adventiste s'ouvrit le 5 septembre 1866. L'hydrothérapie y était une des principales méthodes de traitement. Elle joue encore aujourd'hui, avec le massage, la physiothérapie et les régimes, un rôle de premier plan dans nos établissements médicaux.
Notre deuxième sanatorium d' Amérique fut établi en 1878 près de Saint Helena, en Californie. C'est encore de nos jours une importante institution médicale adventiste. Au 31 décembre 1946, l'église adventiste possédait 18 établissements médicaux en Amérique du Nord ; à cela il faut en ajouter au moins 14 qui sont des entreprises privées.
Pour répandre les principes de la Réforme sanitaire, le Health Reformer ( Réformateur de la Santé ) fut publié à partir de 1866 ; il prit ensuite le nom de Good Health ( Bonne Santé ). Plus tard d'autres revues d'hygiène sortirent de presse en Amérique et ailleurs ; il y en a maintenant un grand nombre dans toutes les parties du monde. Signalons, en français, Le Vulgarisateur, fondé à Bâle en 1890, précurseur de Vie et Santé. D'importants ouvrages traitant les mêmes questions ont aussi été publiés en de multiples langues dans les différents continents.
Parmi les établissements médicaux adventistes, il convient de mentionner l'Institut Sanitaire de Bâle, fondé en 1896 peu après l'arrivée du Dr P.-A. De Forest dans cette ville. Cette institution fut transférée en 1905 à La Lignière, Gland ( Vaud ), où elle fut d'abord connue sous le nom de Sanatorium du Léman. Aujourd'hui on l'appelle simplement La Lignière.
La place manque pour retracer en détail l'histoire des sanatoriums, hôpitaux et dispensaires adventistes disséminés aux quatre coins du globe. C'est regrettable, car cette histoire contiendrait maints récits intéressants et instructifs. Notre oeuvre médicale a été soutenue officiellement par les autorités de divers pays, en Chine et en Abyssinie par exemple. Au 31 décembre 1947, nous avions environ 177 établissements médicaux - sanatoriums, hôpitaux, dispensaires, etc. - dans différentes parties du monde, au service desquels travaillent 336 médecins, 1800 gardes malades et 5075 autres employés.
Un grand nombre de ces institutions ont leur école de gardes-malades, dont beaucoup exercent ensuite leur profession indépendamment ou dans les Missions, accomplissant un travail admirable dans les sentiments de Jésus-Christ. D'ailleurs, une large proportion des missionnaires adventistes ont des connaissances médicales suffisantes pour pouvoir soulager les souffrances physiques des populations de leur territoire. L'apostolat de l'infirmier-missionnaire Stahl parmi les Indiens du Pérou en est une preuve éloquente ; c'est grâce à son ministère plein d'amour et d'abnégation que ces tribus si délaissées parvinrent à la connaissance de l 'Evangile.
Il a déjà été question du collège médical adventiste de Loma Linda, Californie. Il est juste d'y revenir en rapport avec notre oeuvre médicale. Ce collège, fondé en 1909, s'est développé d'une façon remarquable ; il est actuellement classé par l'association médicale américaine parmi les meilleures facultés de médecine. Il possède un équipement de premier ordre. Il y a sur place un hôpital et un sanatorium des plus modernes. L'hôpital White Memorial, de Los Angeles, fait partie de ce collège médical. Les professeurs sont nombreux et hautement qualifiés.
Le Christ guérissait les malades ; ses disciples, sur son ordre, doivent faire de même. La parabole du bon Samaritain nous apporte aujourd'hui encore l'écho de la pensée du Divin Médecin à cet égard. Le mouvement adventiste s'efforce d'accomplir fidèlement cette mission bienfaisante.
Robert Gerber, Le mouvement adventiste, èd. Les Signes des Temps, Paris, 1950, p. 105-110