Le texte ci-dessous est extrait d'un recueil de documents concernant Michaël Belina Czechowski, pionnier de l'adventisme européen, rassemblés et étudiés par M. Jacques Frei. Tapuscrit et documents, pages non-reliées, date de création du recueil : 1971. La riche documentation de ce recueil est consultable aux Archives : cote FS2/071.
"L'homme qui eut le privilège d'être le pionnier de l'église Adventiste, non seulement en Suisse, mais dans d l'Europe fut Micaël Belina Czechowski.
Michael Czechowski, né le 21 septembre 1818, polonais d'origine, élevé à Cracow, fut pendant 18 ans prêtre catholique. Homme sincère et intrépide, choqué par l'immoralité du clergé, il se rend à Rome pour soumettre au pape un rapport circonstantiel contenant aussi des propositions de réforme. En échange de ce mémoire, une mission lucrative lui est offerte à Jérusalem. Il refuse. Après bien des péripéties, nous le retrouvons à Lancy près de Genève. Il est prêtre dans la communauté Polonaise. Mais le contact avec la cité de Calvin, une fête en l'honneur de la victoire des troupes papales, une messe solennelle en faveur d 'une haute personnalité excommuniée au moment de sa mort, l'amène à rompre avec l'église romaine. Il se marie à Soleure. Pourchassé par l'église il se réfugie à Bruxelles, pourchassé encore, il se rend à Londres, encore obligé de partir il se trouve enfin un refuge aux Etats-Unis. Là dans un "camp-meeting" , il accepte la foi adventiste. Nous sommes en 1857. A partir de l'année suivante, il travaille pour le Seigneur avec D. T. Bourdeau et ceci parmi les français du Canada, du Vermont et de New-York. En 1864 il demande d'être envoyé comme missionnaire en Europe. Pour différentes raisons, les frères refusent . Alors, il fait comme Jacob, il croit pouvoir user, à la gloire de Dieu d'un moyen oblique, il s'adresse à la société chrétienne de Boston (adventiste du premier jour) et vient en Europe aux frais de cette société. A part sa famille, Anna Elsa Butler l'accompagne.
Le 14 mai 1864 il quitte l'Amérique pour se rendre dans son premier champ d'activité, dans les Vallées Vaudoises du Piémont.
La présence de Czechowski et sa prédication prophétique parmis les vaudois est un fait si marquant que le pasteur Pons lui consacre un chapitre dans son livre de chronique des Vallées. Naturellement ce dernier ne lui est guère favorable. Ne voit-il pas en Czechowski un faux berger qui veut lui ravir ses brebis. Mais son récit piquant et ironique mérite d'être connu. En voilà un extrait :
"Un polonais nommé Czechowski, arriva un jour à Torre Pellice entre les années 1862 1864. Après avoir loué un magasin d'un commerçant de grains de bétail voisinant la grande route un peu plus haut que le village, et ayant couvert les parois de certaines de ses peintures à faire venir la chair de poule aux hommes et faire faire de mauvais rêves aux enfants, il commença à interpréter avec celles-ci les prophéties de Daniel et de l'Apocalypse.
Le local restait à moitié vide, l'orateur avait toute liberté de mouvement, mais les gens se pressaient sur le pas de la porte et jusqu'au milieu de la route. On voulait voir et entendre, mais non de trop près. Celui-ci écoutait la bouche ouverte, celui-là ricanait, et un autre murmurait avec un accent de tristesse "pauvre fou" - et Czechowski dans un piètre français mais suffisamment intelligible continuait imperturbable...
"Czechowski s'illusionnait d'avoir fait un adepte ! Malgré les exhibitions et l'interprétation qu'il continuait à faire pendant quelques mois, de la statue d'or et de l'arbre de Nebucadnetsar, des quatre grandes bêtes qui sortait de la mer (un chef d'oeuvre de fantaisie) du mouton et du bouc, pour ce qui concerne les prophéties de Daniel, malgré les dessins grotesques du livre écrit dedans et dehors et scellé avec sept sceaux, que lui, comme pour dire, rompait un à un, faisant sortir les chevaux blancs, gris , noirs ou roux, âmes des martyrs et tremblement de terre, et de chaque chose il donnait "son" infaillible interprétation, malgré les horribles dessins des sept anges aux sept trompettes qui annonçaient des phénomènes surnaturels et des tremblements de terre épouvantables, des catastrophes et cataclysmes inouis, de la femme persécutée par le grand dragon rouge, finalement (et cela était son cheval de bataille) de la bête aux dix cornes et sept têtes, pour ce qui concerne l'Apocalypse de St. Jean-, malgré tout cela et la chaleureuse conviction exprimée par une abondante transpiration- il ne réussit pas à avoir des adeptes dans la population. Après avoir démontré tout son savoir sur les Saintes Ecritures et avoir vidé le sac de son intelligence, comme font les charlatans, il détacha des parois ses toiles précieuses, oeuvres de peintres incompris, il en fit une douzaine de rouleaux, et avec cela il partit pour des lieus inconnus, laissant en souvenir de son passage quelques copies de son journal "L'Evangile Eternel."
Cependant la mission de Czechowski n'était pas un échec comme le prétedait le pasteur Pons. Il est vrai que le missionnaire n'a pas obtenu le succès qu'il escomptait obtenir, mais deux personnes au moins sont restés fidèles à la foi prêchée par Czechowski. Ce sont Catherine Revel, la première à observer le sabbat, la grand mère de frère Vaucher, et Jean David Geymet, le premier baptisé d'Europe.
Comme Jean David Geymet ne put obtenir le sabbat libre à la fabrique ou il travaillait, il fut obligé de quitter son emploi. Il devint le premier colporteur évangéliste d'Europe. Voici un récit de son travail :
"Après quelques expériences M. Czechowski vit bien que les vaudois ne se prêteraient guère à un grand mouvement dans le sens du message. Il décida donc d'aller s'établir en Suisse, et m'invita de l'accompagner. Un beau jour (de septembre 1865) après avoir emballé nos hardes, nous voilà partis à pied pour faire l'ascension du Mont-Cenis. A St. Michel nous prenions le train, et le soir, très tard, nous arrivions à Yverdon où de bonnes gens, après nous avoir servi la soupe, nous permirent de coucher sur la paille.
"Le matin suivant, nous nous installions à Grandson, dans une maison qu'on appelait "La Ruche", située derrière le château.
"Les finances de M. Czechwski n'étaient pas suffisamment alimentées par l'Amérique, à cause de la guerre (civile), pour nous nourrir tous deux. J'allais travailler à la campagne, et comme c'était l'automne j'aidais à rentrer les récoltes. J'avais bien de la peine à m'habituer à la nourriture de ces braves cultivateurs vaudois.
"Quand la chose se pouvait, M. Czechowski m'envoyait faire des commissions ou des visites missionnaires en rapport avec ses conférences. Je l'aidais aussi dans la rédaction de sa carte prophétique, et j'avais pas mal de courses à faire chez les graveurs de clichés sur bois..."
"Visitant le village de Champvent dans les environs, j'y obtins la salle d'école pour des conférences, et je me hasardai à y faire la première causerie. La salle était comble. Intimidé, je jugeai prudent d'annoncer que la prochaine réunion serait présidée par M. Czechowski. Monsieur le pasteur de l'endroit avait répandu le bruit que nous étions des mormons. A la deuxième réunion la salle était encore bondée. Après le chant M. Czechowski monta à la tribune. Au moment ou il allait prendre la parole, une troupe de jeunes gens fit irruption dans la salle, éteignit les lampes, et nous laissèrent dans les ténèbres et la confusion. Protégés par la nuit, nous rentrâmes au logis sains et saufs."
Jacques Frei
Recueil e documents concernant Michaël Belina Czechowski, 1971, p. 2-4