L’article ci-dessous a été écrit par M.Verfaillie dans la revue Conscience et liberté n°52 du deuxième semestre 1996 (p.10-13), huit ans avant la mort de Pierre Lanarès.
Il n’est certainement pas exagéré d’écrire que l’œuvre de Pierre Lanarès en tant que secrétaire général a été déterminante pour l’Association internationale pour la défense de la liberté religieuse. C’est en 1966, un an avant le décès du Dr Jean Nussbaum, qu’il a été nommé à cette fonction. Il l’a assumée jusqu’en 1980. Durant ces quatorze années, secondé par André Dufau[1], docteur en droit, il a parachevé sa structuration, précisé ses statuts, relancé la revue Conscience et liberté et assuré sa promotion, particulièrement en Europe.
Fils d’un haut fonctionnaire français en poste à Madagascar, Pierre Lanarès est le 24 août 1912 à Majunga (Madagascar). Après le baccalauréat français et le concours de l’Ecole coloniale d’administration, il a passé sa licence en droit à Paris et présenté sa thèse de doctorat en droit international à l’université de Genève. Son sujet a fait la matière d’un livre publié en 1964 sous le litre La liberté religieuse dans les conventions internationales et dans le droit public général[2]. Dans la préface du livre, le pasteur Marc Boegner, membre de l’Académie française, écrit : « Monsieur Lanarès projette, sur les coins et les recoins des questions souvent très délicates abordées dans son livre, une lumière qui fait ressortir les ombres mais n’en permet pas moins à ses lecteurs d’entrevoir un chemin d’espérance. (…) Nul ne pourra désormais en parler ou écrire à ce sujet sans avoir recours à cet ouvrage[3]. »
Le problème de la liberté de conscience et de religion a préoccupé très tôt Pierre Lanarès, et sa fréquentation du Dr Jean Nussbaum l’avait convaincu du bien-fondé de l’action qu’il avait entreprise. Pourtant, d’autres occupations l’ont retenu longtemps avant qu’il puisse s’y engager aussi pleinement qu’il le fit à partir de 1966.
En 1938, après des études de théologie, il commença en France un ministère pastoral au service de l’Eglise adventiste du septième jour. Il fut interrompu en 1939 par la mobilisation. Pierre Lanarès fut fait prisonnier la même année. Libéré, il le reprit en 1940.
Les années 1940 à 1966 ont été marquées par une intense activité, au cours de laquelle il occupa différents postes de responsabilité au sein de son Eglise. Ainsi, de 1951 à 1960, il fut directeur du Séminaire adventiste situé à Collonges-sous-Salève, en Haute-Savoie (France), devenu plus tard la faculté adventiste de théologie, en accord avec la Faculté protestante de théologie de l’Université d’Etat de Strasbourg. De 1960 à 1963, à Paris, il fut producteur d’émissions radiophoniques dans lesquelles il abordait des problèmes sociaux et éducatifs. Ces émissions ont été diffusées sur les ondes de la France-Culture (anciennement France III). D’autres l’ont été sur les ondes de Radio-Tana (Madagascar) et de la MBC (Ile Maurice, à l’époque britannique) durant son ministère dans l’océan Indien, de 1963 à 1966. Parallèlement, il a écrit plusieurs livres dans des domaines divers et donné des conférences publiques.
Lorsque, à partir de 1966, Pierre Lanarès devint secrétaire général de l’association, ses nouvelles responsabilités l’engagèrent à nouveau dans de nombreux déplacements. Il fut ainsi amené à faire au total trois fois le tour du monde pour rencontrer des personnalités civiles, politiques ou religieuses, afin de traiter avec elles de problèmes difficiles concernant l’application des principes de la liberté religieuse. Au cours de ces voyages en Europe, en Afrique, au Etats-Unis, au Proche-Orient, il s’intéressa à la situation des religions dans le monde et il tira profit de ses observations pour mieux fonder le combat dans lequel il s’était engagé.
Pierre Lanarès s’est marié en 1938 avec Edith Meyer, d’origine suisse, qui est aussi devenue, de 1972 à 1983, sa collaboratrice comme secrétaire de rédaction de la revue Conscience et liberté, après Huguette Guy.
En effet, la pièce maîtresse de l’œuvre de Pierre Lanarès au service de l’association restera d’avoir relancé, en 1971, la parution de cette revue que le Dr Jean Nussbaum avait créée et dont il avait choisi le titre vingt-deux ans auparavant. Malheureusement, faute de moyens, ce dernier n’avait pu publier que trois numéros, parus entre 1948 et 1950.
Ce soutien financier, Pierre Lanarès l’obtint en intéressant son Eglise à sa publication et à sa propagation, puis par les cotisations et les dons à l’association. En tant que directeur-rédacteur, il sollicita la collaboration des plumes autorisées les plus diverses, indépendamment de leur appartenance philosophique ou religieuse. Il s’inscrivait en cela dans la ligne de conduite de son fondateur, Jean Nussbaum, qui, dès le premier numéro publié en 1948, avait appelé « tous les hommes, quelles que soient leurs origines, leur couleur, leur nationalité ou leur religion, (…) à cette croisade contre le sectarisme s’ils sont épris d’un esprit de liberté[4] ». La déclaration de principes, qui a paru dès le premier numéro, en 1971, formule en six paragraphes, dans les pages de la nouvelle série, l’esprit que Pierre Lanarès a insufflé à son tour à l’association et à son organe Conscience et liberté. C’est le même esprit qui inspire encore aujourd’hui l’action de l’association.
La revue parut alors en sept langues : français, anglais, allemand, espagnol, portugais, italien et grec. Aujourd’hui, elle se diffuse encore dans ces langues, sauf en anglais et en grec, par manque de moyens financiers. Une nouvelle édition de la revue en roumain a pourtant vu le jour en 1996.
Pierre Lanarès s’attacha aussi à structurer l’Association internationale pour la défense de la liberté religieuse, et à lui donner ses lettres de créance. A partir de 1966, plusieurs sections nationales de l’association virent le jour dans les pays de l’Europe occidentale, en Afrique francophone et dans l’océan Indien, avec leurs comités et leurs secrétaires nationaux. Elles constituent les bases de la direction générale, dont le siège international est installé depuis la même date à Berne, en Suisse.
Par ses statuts, et bien que soutenue par elle en partie, l’AIDL est indépendante de l’Eglise adventiste. L’adhésion n’est liée à aucune condition d’ordre philosophique ou religieux, de nationalité, d’appartenance ethnique ou linguistique. Seul l’engagement à défendre réellement les principes de la liberté de conscience et de religion détermine l’acceptation de la candidature.
Comme son prédécesseur le Dr Jean Nussbaum, Pierre Lanarès suivait avec attention les débats des Nations Unies et de la Sous-Commission des droits qui concernaient la liberté de religion et de conscience. Il collabora avec les experts de l’ONU, à Genève, à la documentation nécessaire pour l’élaboration du projet qui conduisit à la rédaction de la « déclaration pour l’élimination de toutes formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction », votée en 1981 par l’assemblée plénière des Nations Unies[5].
C’est durant son mandat, en 1978, que l’Association internationale pour la défense de la liberté religieuse a reçu le statut d’ONG (organisation non gouvernementale) auprès des Nations Unies, et auprès du Conseil de l’Europe en 1980.
Pierre Lanarès vit sa retraite avec son épouse à Annecy, en France, non loin de l’une de ses filles. Il collabore encore à la revue Conscience et liberté.
En terminant son livre consacré à la liberté religieuse dans le droit internationale, Pierre Lanarès écrivait : « Quelles que soient l’ampleur et les difficultés de la tâche, il vaut la peine de contribuer à l’établissement et au maintient de la liberté religieuse, capitale pour le bonheur de l’individu et de la paix sociale. Il faut encourager tous les efforts entrepris pour une meilleure organisation internationale apportant à l’individu une garantie réelle de ses libertés fondamentales. Il convient d’éveiller les esprits et d’ouvrir les cœurs à la compréhension de ces problèmes. Il faut veiller fidèlement, afin de pouvoir intervenir efficacement et rapidement pour faire cesser les violations et affermir, en toutes circonstances, cette liberté religieuse qui est un des fondements de la dignité humaine[6]. »
VERFAILLIE M., « Pierre Lanarès », Conscience et liberté, 1996, 2nd semestre, n° 52, p.10-13.
[1] André Dufau avait été durant plusieurs années le bras droit du Dr Jean Nussbaum, avant de devenir celui de Pierre Lanarès. Son activité se déroula principalement à Paris, Il a été le secrétaire national de la section française de l’AIDLR.
[2] Editions Horvath, Roanne 1964.
[3] Marc Boegner, La liberté religieuse, éditions Horvath, Roanne, 1964, p.8.
[4] Jean Nussbaum, Conscience et liberté n°1, éditions Edimo, Paris, 1948, p.5.
[5] Voir texte sur l’activité de G.Rossi, à propos de l’Article 6, alinéa h) de cette Déclaration, Conscience et liberté n°52, p.14.
[6] Pierre Lanarès, La liberté religieuse dans les conventions internationales et dans le droit public général, éditions Horvath, 1964, p.238, 239.