La Bibliothèque Alfred Vaucher du Campus adventiste du Salève possède un grand nombre de livres anciens. Ces ouvrages précieux sont conservés
dans les locaux protégés des Archives historiques (au sous-sol). Ils
proviennent de l'ancienne bibliothèque du Central (1921-1981), mais aussi de
l'ancienne Ecole missionnaire de Gland (La Lignière, 1904-1921). D'autres livres anciens
font partie de deux bibliothèques privées gérées par le personnel de la
Bibliothèque pour le compte des Archives historiques : la bibliothèque
personnelle d'Alfred Vaucher (1887-1993) et celle de John N. Andrews
(1829-1883). Il faut ajouter à cela de nombreux dons privés, souvent anonymes.
La plupart de ces livres anciens ont
déjà été répertoriés et catalogués. Mais pas tous ! Un certain nombre de vieux
ouvrages ont été accumulés et stockés, en attendant que le personnel de la
Bibliothèque et des Archives trouve du temps pour les trier, les identifier et
les inventorier. Cet été nous avons donc décidé d'ouvrir quelques cartons de vieux
livres... Et une sacrée surprise nous attendait !
Parmi de très nombreux volumes sans valeur particulière, nous avons découvert
un livre relié qui porte sur la couverture le nom d'Alexandre Vinet, un
théologien protestant suisse du début du 19e siècle. A première vue il s'agit
d'un banal exemplaire du Mémoire en
faveur de la liberté des cultes, un livre très répandu au 19e siècle.
En réalité, il s'avère que la
reliure rassemble trois livres : celui d'Alexandre Vinet, un ouvrage d’Antoine
Court, et surtout... un exemplaire
original du Traité de la tolérance de Voltaire de 1763 ! Un
véritable trésor d'archives !
Il y a tout juste 250 ans, Voltaire écrivait ce pamphlet pour combattre
l'intolérance religieuse et réhabiliter un protestant injustement condamné à
mort, Jean Calas.
Ci-dessous vous trouverez les notices, écrites par Xavier Rousset, présentant l'auteur et l'oeuvre.
Voltaire (1694-1778)
Voltaire, de son vrai nom François Marie Arouet, naît le 21 novembre 1694 à Paris. Fils de notaire, il fait ses classes au collège des jésuites de Louis-le-Grand, à Paris. Préférant la carrière des lettres, il publie sa première œuvre à seize ans, en 1710. Il entame néanmoins des études de droit, l’année suivante et, malgré un libertinage notoire qui lui vaut des démêlées, il est engagé comme notaire, en 1714. Mais le jeune Arouet ne se sent décidément pas fait pour suivre les traces de son père et travaille activement à des œuvres littéraires, tout en fréquentant la haute société de l’époque et prend le nom de Voltaire, en 1718.
Reconnu comme poète et tragédien, il publie en 1733 ses Lettres philosophiques qui font scandale : il y vante, en effet, le système politique anglais et en profite pour critiquer la monarchie française. Immensément riche, pour avoir su faire fructifier l’héritage familial par des spéculations sur le blé, ou sur les colonies entre autres, il acquiert une certaine indépendance et une stature auprès de la « bonne société », se procurant le droit de presque tout écrire. Il exerce, dès lors, une influence considérable sur le monde des lettres, aussi bien que sur la politique, influence qu’il met au service de la cause anticatholique et, plus largement, antichrétienne. Animateur, avec l’écrivain Diderot (1713-1784), le mathématicien d’Alembert (1717-1783) et d’autres, du « parti philosophique », il mène, à partir de 1762 (année où il apprend qu’un protestant, Jean Calas, a été supplicié, sans preuves, pour le meurtre de son fils), une lutte intense contre ce qu’il appelle « l’Infâme » (l’Eglise romaine).
Voltaire est de tous les combats : littéraires, philosophiques, politiques. Il n’hésite pas à utiliser toutes les « armes » qui sont à sa disposition, pourfendant ses adversaires par ses livres, ou par son réseau d’amis tissé jusque parmi les princes européens. Il s’engage en faveur des Calas, de Sirven, de galériens huguenots (1764), etc. et obtient, par son militantisme effréné, la réhabilitation de nombre d’entre eux.
Quoiqu’antichrétien, Voltaire a toujours refusé l’athéisme d’un Diderot, préférant au néant un « Dieu architecte », accessible à la raison humaine. Il meurt à Paris, le 30 mai 1778, non sans être revenu à la religion catholique, par peur de l’enfer, semble-t-il. Son œuvre est multiple et foisonnante, à l’image de sa curiosité sans bornes et de sa grande force de travail. On en retient, aujourd’hui, surtout les Lettres philosophiques (1733 et 1734), Candide (1759), le Traité sur la tolérance (1763), le Dictionnaire philosophique (1764) et L’Ingénu (1767).
Le Traité sur la tolérance.
Au soir du 13 octobre 1761, à Toulouse, le jeune Marc-Antoine Calas, est retrouvé pendu dans la maison de ses parents huguenots. Pour éviter le déshonneur qui s’abattait sur les suicidés et leur famille, son père, Jean Calas, exige de ses proches qu’on dissimule les circonstances du décès. Ce mensonge, vite découvert, est interprété comme un aveu de culpabilité et le bruit se répand que Marc-Antoine Calas a été assassiné par son père, parce qu’il s’est fait catholique, ce qui est inexact. Les magistrats en charge de l’instruction prennent les bruits de la populace pour argent comptant et, au terme d’un procès bâclé, Jean Calas est condamné à mort et exécuté, non sans avoir subi la torture et le « supplice de la roue ». La famille du condamné est incarcérée sans preuves et soumise à la torture, également.
Le bruit de cette affaire parvient jusqu’à Ferney où réside Voltaire, à cette époque. D’abord informé par la seule rumeur, celui-ci considère les infortunés huguenots avec mépris. Mais le philosophe s’aperçoit vite que le procès a péché gravement en plusieurs endroits et que la culpabilité des Calas, pas plus que leur innocence d’ailleurs, n’a été démontrée. Il se passionne dès lors pour cette affaire, faisant jouer l’énorme réseau de ses relations, partout en Europe, pour obtenir la révision du procès. Acquérant peu à peu la conviction que Jean Calas est innocent, Voltaire mène une véritable enquête, établissant un dossier accablant pour la justice de son temps. La pression mise sur les grands de ce monde n’y suffisant pas, il fait appel à une force naissante : l’opinion publique et, pour ce faire, rédige son Traité sur la tolérance.
Publié anonymement, pour faire croire qu’il était l’œuvre d’un prêtre, l’ouvrage paraît à Genève, en 1763. Dans une lettre à son ami Damilaville (24 janvier 1763), Voltaire expose ses intentions : « On ne peut empêcher que Jean Calas ne soit roué, on peut rendre ses juges exécrables et c’est ce que je leur souhaite… Gardez-vous d’imputer aux laïques ce petit ouvrage sur la tolérance qui va bientôt paraître. Il est, disons, d’un bon prêtre. Il y a des endroits qui font frémir, d’autres qui font pouffer de rire car, Dieu merci, l’intolérance est aussi horrible qu’absurde. » Le Traité sur la tolérance, en effet, mêle subtilement les considérations historiques à une ironie mordante, dont l’auteur s’était fait une spécialité, si bien que la sensibilité du lecteur est emmenée tantôt vers les horreurs, tantôt vers les ridicules de l’intolérance, pour faire admettre, au final, que celle-ci n’a eu ni n’a aucune légitimité, dans quelque société que ce soit. Et Voltaire de dresser, en contrepoint, un idéal de tolérance, bénéfique aux individus aussi bien qu’aux Etats.
Voltaire, au long de sa carrière, est bien loin d’avoir toujours appliqué son propre idéal de tolérance (que l’on songe à son comportement face à ceux qui critiquaient ses ouvrages, tels La Baumelle ou Fréron). Son Traité et son combat pour plus de justice, n’en marquent pas moins un jalon capital dans la lente conquête des droits individuels.
Xavier Rousset, 13 août 2013.
Xavier Rousset, 13 août 2013.