Willem A. Visser 't Hooft (1900 - 1985) était un pasteur et théologien réformé néerlandais. Il était l'un des pionniers du mouvement œcuménique. Visser 't Hooft était en poste à Genève lorsque la guerre éclata. Il aida des réfugiés fuyant l’Allemagne nazie et travailla à maintenir des liens entre les zones occupées et le monde extérieur. Il organisa un réseau de courrier entre la Hollande et Londres. Dans ses Mémoires (en néerlandais : "Memoires. Een leven in de oecumene", Elsevier, 1971 / traduction en français : "Le temps du rassemblement", Ed. du Seuil, 1975), Willem Visser 't Hooft parle de son engagement politique pendant la guerre dans le chapitre 21 : "La Route suisse". Il y mentionne aussi Jean Weidner, le résistant adventiste qui a joué un rôle essentiel dans son réseau.
Extraits
"Le trafic le long de ce qu'on appela la Route suisse fut d'abord très irrégulier. Bartels et un jeune sculpteur hollandais, Jan van Borssen Buisman, firent des voyages très risqués, emportant des messages en Hollande et rapportant de là-bas des quantités de microfilms. Une partie du matériel arriva dans des couvertures de livres. Pendant la première année, une centaine de documents sortirent de Hollande et furent dirigés vers Londres ; mais ce n'est qu'au cours de l'été 1943 que nous réussîmes à organiser un courrier tout à fait régulier, accroissant ainsi la somme des informations échangées avec la Hollande.
A cette époque, j'eus la bonne fortune de faire la connaissance de Jean Weidner qui accepta de prendre la responsabilité du service entre Genève et Bruxelles. Jean était un homme d'affaires hollandais qui vivait en France. Il était intensément préoccupé du sort des Hollandais - pour la plupart non aryens - refugiés en France libre, et il avait lancé tout seul une campagne en leur faveur : il vint me trouver lorsqu'il ne put en assurer plus longtemps le financement. Il me fut heureusement possible de trouver les fonds nécessaires à son travail d'assistance; très vite Jean apporta une aide considérable à ceux qui, pour des raisons diverses, désiraient sortir des territoires occupés. Mais ses activités furent repérées par la police et il dut renoncer à avoir une adresse fixe. Toujours par monts et par vaux avec de faux papiers d'identité, il était exactement l'homme qu'il fallait pour mettre au point le service du courrier. Adventiste du Septième Jour convaincu, il me regarda d'un air étonné lorsque je lui demandai s'il était préoccupé par sa prochaine mission et me répondit : "Mais ne suis-je pas entre les mains de Dieu ?"
Jean devint ainsi le responsable de la Route suisse pour le trajet Genève-Bruxelles, tandis que mes collègues néerlandais organisaient le service Amsterdam-Bruxelles. Dès l'automne 1943, la ligne fonctionnait avec une régularité remarquable. Tous les quinze jours, le "courrier" arrivait et repartait quelques jours plus tard. Les messagers descendaient du train à une petite gare, juste derrière le Salève (la montagne qui se trouve au sud-ouest de Genève, immédiatement après la frontière française); ils grimpaient sur la montagne pour observer d'en haut les patrouilles, et voir aussi ma maison; et finalement, ils passaient en Suisse lorsqu'ils estimaient que c'était sans danger." (W. A. Visser 't Hooft, Le temps du rassemblement, Ed. du Seuil, Paris, 1975, p.182-183)
"Après la guerre, lorsque j'évoquai l'aventure qui m'avait entraîné dans des voies où je n'aurais jamais pensé m'engager, je trouvai qu'elle en avait bien valu la peine. J'avais eu l'occasion de faire quelque chose pour ma patrie et d'être engagé dans sa vie, et d'éviter ainsi le déracinement qui est le risque de toute vie internationale. J'avais beaucoup appris sur les réalités de la politique et du gouvernement. J'avais travaillé avec des hommes et des femmes dont le courage sans faille était une constante source d'inspiration. Et puis n'était-il pas stupéfiant que tous nos courriers eussent survécu à la guerre, malgré les risques qu'ils avaient pris ? mais il y avait une contre-partie : certains de ceux qui avaient ouvert leur porte à nos courriers avaient été arrêtés. C'est ainsi que Jean wEidner avait perdu sa soeur bien-aimée, qui habitait Paris et avait été d'une grande aide pour lui et pour d'autres. Et la vieille mercière d'Annecy qui avait été un maillon important de la chaîne, elle aussi était morte dans un camp de concentration. Tant d'autres, dont nous avions transmis les messages, avaient disparu : bien souvent, nous n'avions pu apporter l'aide dont on avait besoin de toute urgence. Qu'il est difficile de savoir si ces années ont été les meilleures ou les pires de notre vie." (W. A. Visser 't Hooft, Le temps du rassemblement, Ed. du Seuil, Paris, 1975, p.191-192)
Les Mémoires de Willem A. Visser 't Hooft sont consultables aux Archives, en néerlandais et en français (cote : A B VISw).