Dans la Revue adventiste du 1er décembre 1922, p. 302-303, Anna de Prato, une adventiste suisse, raconte les débuts de l'adventisme en Europe. Les rédacteurs de la Revue adventiste introduisent son article ainsi : "Nous devons à l'obligeance de soeur Anna de Prato, de Lausanne, le récit qu'on va lire, et qui a toutes les qualités d'authenticité et d'exactitude désirables, venant d'un témoin oculaire. Il renferme plusieurs faits inédits que nos frères et soeurs liront avec plaisir."
"Origines du "Sabbatisme" ou plutôt de l'Adventisme du Septième Jour en Europe
M. Michel-B. Czechowski, Polonais, fut prêtre catholique dans son pays, qu'il dût fuir pour échapper aux persécutions et déportations russes dirigées contre sa nation.
Il vint à Genève, où il se maria avec une Savoyarde, et de là passa aux Etats-Unis, où il entendit les Adventistes du Septième Jour; il accepta le message et devint un de ses ouvriers. Il désirait l'apporter en Europe, mais les frères n'étant pas d'accord de l'y envoyer, il s'entendit avec les Adventistes du Premier Jour, qui annoncent aussi le retour du Seigneur, en s'appuyant sur les prophéties.
Envoyé par eux, Cz. vint en Europe en 1865 et s'arrêta à Torre-Pellice, dans les Vallées Vaudoises du Piémont. Il y évangélisa et amena à la vérité soeur Catherine Rével, grand'mère de frère Alfred Vaucher, mais il ne put la baptiser à cause de la violente opposition de son mari.
En hiver 1866, il était aux Tuillières de Grandson, où il installa sa famille. De là il alla visiter Fleurier, Val de Travers, canton de Neuchâtel, et se rendit à la Cure, auprès du pasteur Paul de Coulon (encore vivant aujourd'hui à Neuchâtel). Avec l'assentiment de celui-ci, il donna un cours de conférences dans une salle de la localité. Madame de Coulon fut convaincue de la vérité, mais n'eut pas le courage d'y marcher.
A ce moment-là, je faisais mon instruction dans un pensionnat de Fleurier, où ma mèe séjournait aussi. Dans sa jeunesse, entre les années 1840-1847, elle avait fait partie de la dénomination des Lardonnistes, qui s'occupaient des prophéties, et annonçaient le retour prochain du Sauveur. Mais cette dénomination, très rigide et étroite, avait fini par retrancher ses membres jusqu'au dernier.
Ma mère était alors rentrée dans le monde jusqu'en 1865, où après bien des épreuves, elle rechercha le Seigneur et la vérité dont elle avait soif. Elle était lasse de chercher sans succès, dans diverses églises et dénominations, ce dont son âme avait besoin, quand ma maîtresse de pension l'invita à venir, avec le pensionnat, entendre Cz., le missionnaire américain. C'était un jeudi soir. Cz développa la carte prophétique, et expliqua Daniel avec beaucoup de clarté et de puissance. Ma mère, très impressionnée, comprit qu'elle avait enfin trouvé. Dès le lendemain, elle fit demander à la cure M. Cz., à qui elle désirait parler; mais il était allé passer le Sabbat dans sa famille. Il était de retour le dimanche soir, et ma mère le vit le lundi et jours suivants, le pressant de questions qui l'occupaient et acceptant les vérités bibliques avec avidité, si bien qu'à la fin de la semaine, elle gardait son premier Sabbat. Cz. resta ce jour-là avec nous, et nous lûmes le Psaume 119. Ma mère demanda de suite le baptême, qui eut lieu le 7 février 1867, dans le lac, près Grandson, de nuit, à la lueur des lanternes, vu qu'on n'osait pas encore baptiser de jour.
Frère Jean Geymet, qui était venu avec Cz. des Vallées Vaudoises, fut aussi baptisé après ma mère. MM. Hanhardt, père et fils, ainsi que la femme de ce dernier, tous de Fleurier, étaient aussi intéressés, et acceptèrent la vérité quelques temps après. Il furent baptisés l'été suivant, aussi dans le lac, près de Grandson, mais de jour, avec deux autres messieurs intéressés, mais qui, malhureusement, ne marchèrent pas et moururent quelques mois après.
Après le cours de Fleurier, Cz. se rendit à Chaux-de-Fonds. Il prêcha aussi aux Anabaptistes, chez les frères Ramseyer, à la grande ferme de la Joux sur le col des Roches. Quoique plusieurs personnes furent convaincues, la famille Jaquet de Chaux-de-Fonds fut la seule qui marcha dans la vérité.
Je fus baptisée en juin 1867 avec Ludomir, fils aîné de Cz., à St. Blaise (canton de Neuchâtel); j'avais près de quinze ans et demi; plus tard, ce furent les Jaquet, pre, mère et Bertha, leur fille aînée, de La Chaux-de-Fonds. Sur les conseils de Madame Rosine Borle, déjà intéressée (ceci sauf erreur), M. Cz. se rendit à Tramelan où, lui dit-elle, il y avait plusieurs sectes. Le grand-père Hanfardt, colporteur de livres et de cartes géographiques l'y précéda, vendant un petit traité émanant de la plume de Cz. : La véritable église de Dieu, ouvrage qui devait préparer la voie au Message adventiste.
Ici se place la rencontre intéressante avec Jules-Henri Guenin. A ce moment-là, Albert Vuilleumier rentrait d'un voyage en Angleterre, troublé par les discussions entre l'Eglise nationale et l'Eglise libre qui agitaient l'opinion. Pour s'éclairer, il se rendit auprès de Jules-Henri Guenin, dont le beau-frère, Béguelin-Houriet, était ancien de l'église libre. Jules H. Guenin, qui avait déjà vu et entendu Cz., lui dit alors : "Jattends quelque chose de meilleur", et il l'invita à une réunion tenue par Cz.
C'est ainsi qu'intéressés et gagnés, Albert vuilleumier, sa femme, sa soeur Sophie Dietschy et, successivement, son beau-frère Edouard Vuilleumier et sa femme, son frère Abel et sa femme, puis Jules Dietschy, son beau-frère (ancien instituteur) et enfin Luc Vuilleumier, son cousin, acceptèrent la vérité.
Ils furent baptisés dans lecourant de l'été et de l'automne de 1867, dans le lac de Neuchâtel à St. Blaise, et constituèent (avec frère et soeur Roth qui vinrent plus tard) la première église adventiste d'Europe, à Tramelan, dont frère Albert Vuilleumier fut l'ancien, consacré par Cz., qui imposait aussi les mains à tous les néophytes sortant des eaux du baptême.
Cette même année, Cz. bâtit une maison à St. Blaise, y installa une imprimerie, et fonda son journal l'Evangile éternel, avec, comme typographes, Jean Geymet et Ludomir Czechowski, et comme correcteur ma petite personne qui avait à peine seize ans, tous ouvriers bien jeunes et bien inexpérimentés, faisant leurs premières armes dans le métier. Ce journal ne put malheureusement pas vivre longtemps, faute de fonds; les Adventistes du premier Jour ayant découvert que Czechowski annonçait aussi le Sabbat, lui retirèrent leur appui financier.
En 1869, la maison fut vendue d'office, et la famille dispersée (cinq enfants, dont trois garçons et deux filles). Czechowski était déjà depuis plusieurs mois en Hongrie, d'où il alla en Roumanie, où il fonda un petit groupe.
Les frères de Tramelan envoyèrent en Maérique frère Jacques Erzberger, qui y séjourna quelque temps, puis Adémar Vuilleumier, frère de Luc, et c'est après cela que nos frères américains se décidèrent à nous envoyer notre vénéré et estimé frère J.-N. Andrews, qui fonda les Signes des Temps en 1875.
Mais jusqu'à son arrivée, en 1874, nous fûmes sans directeur de l'oeuvre, sans pasteurs, sans imprimés, sans écoles du Sabbat, en un mot, laissés absolument à nous-mêmes. Il n'y avait de réunions, le Sabbat, qu'à Tramelan, où était la seule église organisée. Les membres disséminés étaient les Hanhardt, les Jaquet, puis les Borle à Chaux-de-Fonds, soeur Racine devenue Madame Rousset, à St. Blaise; Ludomir Czechowski et sa soeur Anny à Neuchâtel; ma mère et moi, à Auvernier."
Anna de Prato
Revue adventiste, 1er décembre 1922, p. 302-303